2017

L’étoile de Boyajian, un mystère encore non résolu

Représentation artistique d'un essaim de fragments de comètes cachant une portion de la lumière d'une étoile. (Crédit: NASA/JPL-Caltech)
Représentation artistique d'un essaim de fragments de comètes cachant une portion de la lumière d'une étoile. (Crédit: NASA/JPL-Caltech)

Peu d’étoiles intriguent autant les astronomes et le grand public que KIC 8462852. Cette étoile, aussi connue sous le nom d’Étoile de Tabby ou d’Étoile de Boyajian, est une étoile un peu plus chaude que le Soleil. En 2015, on a remarqué qu’elle n’était pas banale; dans les observations faites par le télescope spatial Kepler entre 2009 et 2013, sa lumière a fluctué d’une manière très étrange. Des dizaines d’hypothèses ont été avancées pour expliquer les nombreuses diminutions de luminosité observées, allant de l’essaim de comètes à des structures extraterrestres, mais aucune ne semble expliquer l’ensemble des observations. Dans les derniers mois, de nouvelles variations de la lumière de l’Étoile de Boyajian ont été observées. Les astronomes de l’iREx ont joint l’effort mondial pour percer le secret de cette curieuse étoile, grâce à la toute nouvelle caméra PESTO du télescope de l’Observatoire du Mont-Mégantic.

L’Étoile de Boyajian, nommée en l’honneur de l’astronome américaine qui l’a fait connaître, se trouve à environ 1400 années-lumières de la Terre, dans la constellation du Cygne. Elle est dans une région du ciel qui a été observée en continu pendant les quatre années de la mission du télescope spatial Kepler. Ce télescope est bien connu pour avoir permis la détection de plusieurs milliers d’exoplanètes, qui ont été identifiées grâce à la diminution caractéristique de lumière qui survient quand une planète passe devant son étoile (méthode de transit). Ce sont des astronomes amateurs, grâce au projet «  Planet Hunters », qui ont d’abord repéré le drôle de comportement de cette étoile. Dans un article scientifique publié en septembre 2015, la professeure Tabetha (« Tabby ») Boyajian et ses collègues, astronomes professionnels et amateurs, résument les observations. Dans la courbe de lumière de Kepler, une dizaine de diminutions de luminosité distinctes sont visibles, certaines allant jusqu’à 20% de la lumière de l’étoile. Lors de ces épisodes, la lumière de l’étoile reste ainsi plus faible pendant quelques jours à quelques dizaines de jours, avant de revenir à la normale.

 

La courbe de lumière de l’Étoile de Boyajian, qui a été observée en continu par le télescope spatial Kepler entre 2009 et 2013. Une dizaine de diminutions de luminosité, allant de moins d’un pour cent à plus de 20% de la lumière totale de l’étoile, ont été observées sur cette période. (Crédit: Boyajian et al. 2015)

Les auteurs ont écarté la possibilité que les diminutions soient dues à un problème avec l’instrument ou à une erreur d’analyse. De plus, ces diminutions de luminosité sont trop importantes et ne se produisent pas de manière assez régulière pour être expliquées par le passage d’une planète seule devant l’étoile. En effet, une planète, même géante, ne bloque tout au plus qu’un ou deux pour cent de la lumière de son étoile, et cette diminution se reproduit périodiquement, à chaque fois que la planète passe devant son étoile. Certaines étoiles montrent des comportements similaires, mais ce sont généralement de très jeunes étoiles entourées de gaz et de poussière. Cela ne semble pas être le cas ici : KIC 8462852 ne montre aucun signe caractéristique de jeunesse. En particulier, dans les observations de l’étoile faite dans l’infrarouge, aucune trace de poussière réchauffée, qu’on trouve typiquement autour des étoiles jeunes.

En 2016, on réalise que l’étoile est peut-être encore plus étrange qu’on pensait. En se basant sur des données d’archive, le chercheur américain Bradley E. Schaefer avance que le flux de l’étoile de Boyajian aurait diminué d’environ 20% de 1890 à 1989. Il est cependant très difficile de comparer précisément des observations astronomiques enregistrées sur une longue période sur des plaques photographiques, et ce résultat a été contesté. Quelques mois plus tard, une autre équipe présente une nouvelle analyse des quatre années de données Kepler. Sur cette période de quatre ans, ils montrent que la lumière de l’étoile a aussi vraisemblablement diminué, de manière monotone mais irrégulière, d’environ 3% en tout! Ces diminutions à long terme, si elles sont confirmées, ajoutent un autre élément mystérieux à expliquer à propos de l’Étoile de Boyajian.

Dans les deux dernières années, de nombreuses hypothèses ont été émises par les scientifiques pour tenter d’expliquer les observations intrigantes de l’étoile. Pas moins d’une quinzaine d’articles scientifiques ont été publiés dans des revues spécialisées. L’hypothèse favorisée par Boyajian et ses collègues dans l’article de 2015 était qu’un essaim de fragments de comètes ou de planètes seraient en orbite autour de cette étoile, peut-être à la suite d’une collision. Mais cette explication est imparfaite : il faudrait beaucoup de comètes, et il serait difficile d’expliquer les diminutions sur plusieurs années.

Dans un article publié en 2016, les chercheurs Jason Wright et Steinn Sigurdsson résument plusieurs solutions plausibles. Parmi celles-ci se trouve une hypothèse qui, bien que très improbable, ne peut faire autrement qu’exciter l’imaginaire. La signature lumineuse particulière pourrait s’expliquer par de grandes structures qui auraient été construites par espèce intelligente évoluée qui exploiterait ainsi de manière ultra efficace l’énergie de son étoile. Des observations ont été faites par le programme SETI, spécialisé dans la recherche d’une intelligence extraterrestre. Cependant, aucun signe caractéristique d’émissions qu’on pourrait associer à de telles civilisations n’a été trouvé dans les observations faites dans le domaine de longueurs d’onde visibles et radios. De plus, aucune trace de la chaleur que dégageraient vraisemblablement ces superstructures n’a été observée.

Un article récent présente une autre hypothèse pour expliquer la courbe de lumière de Kepler. Le passage d’une très grosse planète avec un système d’anneaux similaire à celui de Saturne pourrait expliquer la plus grosse diminution de luminosité observée, tandis que les diminutions précédentes et suivantes seraient expliquées par deux essaims d’astéroïdes qui précéderaient et suivraient la planète sur son orbite. Le scénario a l’avantage de ne pas invoquer de phénomènes trop étranges, mais il a aussi des défauts. La quantité d’astéroïdes nécessaire et la taille de la planète semblent tous deux vraiment improbables, et ce scénario n’explique pas du tout la diminution lente qui a été observée dans des données d’archive et sur les quatre ans d’observation avec Kepler.

 

Scénario proposé par une équipe d’astronomes espagnols : une planète géante avec des anneaux serait précédée et suivie par deux essaims d’astéroïdes. (Crédit: Ballestros et al. 2017)

Le 19 mai dernier, nouveau revirement de situation. L’étoile, qui est maintenant observée en continu par un réseau mondial de télescopes (Las Cumbres Observatory) grâce à un projet Kickstarter initié par la professeure Boyajian et ses collègues, a de nouveau vu sa lumière diminuer. Cette diminution modeste d’environ 2% s’est terminée en quelques jours, mais a été suivie par des dizaines de télescopes répondant à l’appel du Professeur Boyajian.

Cette fois-ci, les chercheurs de l’iREx, se joignant à l’effort mondial pour observer l’étoile, ont utilisé la caméra PESTO, récemment installée sur l’Observatoire du Mont-Mégantic, pour observer l’Étoile de Boyajian. Des observations ont été prises à la très grande cadence permise par PESTO, dans plusieurs filtres astronomiques. Les données seront analysées dans les prochains mois, et seront envoyées à professeure Boyajian et ses collègues.

Il est probable que l’Étoile de Boyajian occupera encore pendant quelque temps les astronomes professionnels et amateurs : la diminution de mai a été suivie de près par une autre, qui a commencé autour du 11 juin, et qui est toujours en cours au moment d’écrire ces lignes (6 juillet 2017). En attendant, cette saga illustre à merveille ce que la recherche en astronomie du 21ème siècle peut être : des idées excitantes, une collaboration entre chercheurs professionnels et amateurs de partout dans le monde, et une évolution rapide de la compréhension, grâce aux moyens de communication prodigieux des temps modernes.

 

Pour en savoir plus…

 

Source

Marie-Eve Naud
naud@astro.umontreal.ca